RELATIONS ET PERSONNALITÉ
Il entretient les meilleurs termes avec ses éditeurs et dans le milieu musical, Georges Bizet, dédicataire des Scènes Hongroises, (pour ses obsèques, Massenet composera un Lamento), Camille Saint-Saëns ; des compositeurs étrangers, Johannes Brahms, Giacomo Puccini, Engelbert Humperdinck, Piotr Illich Tchaïkovski et d’autres... Il restera fidèle envers ses aînés, Hector Berlioz, Charles Gounod et ses maîtres, parmi lesquels Ambroise Thomas, à qui il témoignera une immense reconnaissance et une affection quasi filiale jusqu’au décès de celui-ci.
Il entretiendra une amitié permanente avec de nombreux artistes :
Avec les peintres William Bouguereau, Félicien Rops, Pierre Puvis de Chavanne, Lucien Lévy-Dhurmer, et le portraitiste Georges Clairin, humoriste sans pareil qui deviendra le professeur de la fille du compositeur, Juliette ;
Avec le graveur Jules-Clément Chaplain qu’il a connu à Rome, auteur d’un célèbre dessin représentant Massenet dans la campagne romaine. Leur amitié durera jusqu’au décès de Chaplain en 1909.
Il y aussi des sculpteurs : Alexandre Falguière, Henri Chapu, Pierre-Félix Fix-Masseau, Jean-Désiré Ringel d’Illzach ; et des architectes tels qu’Eugène Viollet-Le-Duc et surtout Charles Garnier à qui l’on doit les opéras de Paris et de Monte-Carlo.
Parmi ses amis, nous trouvons également des écrivains comme Anatole France, l’auteur de Thaïs et Victor Hugo dont certains poèmes se retrouvent au nombre de ses mélodies (Massenet fut longtemps tenté d’écrire un opéra tiré de Notre-Dame de Paris) ; Juliette Massenet entretiendra une amitié durable avec les petits-enfants d’Hugo, Georges et Jeanne.
Surtout, n’oublions pas le plus proche d’entre eux, Alphonse Daudet, l’auteur des Lettres de mon moulin, chez qui Massenet rencontre Marie Delna, alors âgée de 18 ans, créatrice du rôle de Charlotte de Werther pour la reprise à Paris en 1893. Le roman, largement autobiographique de Daudet, Sapho, écrit en 1884 (année de la création de Manon), d’abord porté à la scène théâtrale, sera adapté sur un livret d’Henri Cain pour l’Opéra-Comique et créé en 1897. Cet ouvrage « naturaliste » est actuellement injustement absent de nos scènes lyriques.
Retenons aussi de nombreux poètes, qui inspireront ses mélodies… des auteurs dramatiques : Jean Richepin, Victorien Sardou…ses librettistes : Henri Meilhac, Louis Gallet, Henri Cain…
D’abord souvent jovial, prompt à l’humour, bon enfant ou acerbe, Massenet est en réalité un anxieux, prompt au découragement, parfois mélancolique.
Dans ses ouvrages lyriques, les sujets légers, à l’issue heureuse, l’inspirent mais ils sont peu nombreux : au début de sa carrière, La Grand-Tante (1867), Le Portrait de Manon (1894), Cendrillon (1899), Grisélidis (1901), Chérubin (1905) et, à la fin de sa vie, l’ouvrage posthume inspiré librement de Rabelais, Panurge.
Pour le reste, c’est l’omniprésence d’un thème dramatique : la rupture dans Sapho, la folie dans La Navarraise, et une issue fatale dans tous les ouvrages, d’Hérodiade à Cléopâtre (seule Esclarmonde échappe à la règle).
Massenet se livre peu sur ses œuvres dans sa correspondance familiale – celle qu’il entretient avec ses éditeurs ou ses librettistes nous renseigne davantage – mais elle jalonne des dates et des voyages. Par exemple, son voyage en Hollande « sur les pas de l’abbé Prévost » alors qu’il composait Manon ; les répétitions de Werther à Vienne… Le temps qu’il fait est également souvent porté en marge de ses manuscrits musicaux ainsi que son humeur : « Seul….Triste… ».
Impulsif, coléreux à ses heures, il s’en faut de peu qu’il ne se batte en duel avec le célèbre baryton Lassalle qui avait eu l’imprudence, pendant les répétitions, de critiquer l’interprète du premier rôle féminin dans l’opéra Le Mage.
Certains lui prêtent une vie amoureuse mouvementée… mais il faut bien dire qu’à cet égard, les preuves manquent. Massenet est sincèrement épris de son épouse, Louise-Constance, mais dès la naissance de leur fille en 1868, le couple s’étiole. Jusqu’à sa mort, le compositeur se désolera que celle qui ira jusqu’à surnommer « l’éternelle absente » passe des mois entiers loin de lui, de station balnéaire en ville thermale, sans se préoccuper particulièrement de sa musique. Pourtant, moins d’un an avant sa mort, il lui écrit : « Sais-tu que le 8 octobre prochain, il y aura 45 ans que nous sommes unis et… 46 que je t’aime ? ».
Aucun soupçon de liaison ne semble avoir pesé sur les rapports quasi professoraux entre Massenet et ses premières égéries féminines, Marie Heilbronn, Sibyl Sanderson et dans une moindre mesure, un peu plus tard, la fougueuse Emma Calvé. Sa relation, dans les dix dernières années de sa vie, avec Lucy Arbell, née Georgette Wallace, a en revanche fait couler beaucoup d’encre et de salive, probablement bien à tort.
La musique de Massenet, tant par sa quantité que sa qualité, témoigne du travail acharné et de l’énergie déployée par le compositeur, ce qui ne manque pas de questionner rationnellement la temporalité de quelconques aventures.
Quoiqu’il en soit, l’œuvre de Massenet est une de celles où l’émotion du créateur s’exprime avec force sincérité, laissant croire - il est faux de le penser – à une apparente facilité harmonique et mélodique. C’est ce qui fait son succès et fait aussi, encore aujourd’hui, l’objet de critiques. Jules Massenet fut un fin pédagogue, grand amateur d’Art, et reste quoi qu’en pensent les esprits chagrins l’un de nos compositeurs les plus éclectiques et les plus talentueux.
Ci-dessous, de gauche à droite : Massenet vers 1880 (2 photographies), en 1881, vers 1890, vers 1910 et fin 1911.